Blanchir le travail noir ? C’est raté

Publié le par spbelgique

VANDEMEULEBROUCKE,MARTINE

Lundi 11 avril 2011

Le soir page 6.

Sans-papiers La régularisation par le travail est un miroir aux alouettes

Blanchir le travail au noir et régulariser les clandestins, ceux qui n’ont jamais eu de séjour légal en Belgique, étaient les objectifs de la régularisation par le travail.

Soit un des critères principaux de l’opération de régularisation décidée par le gouvernement en juillet 2009 après des mois de blocage politique et de grèves de la faim chez les sans-papiers.

La régularisation par le contrat de travail est un échec, et il était prévisible. Tant à cause de la complexité de la procédure que par les caractéristiques mêmes des emplois occupés par les sans-papiers.

La procédure prévoyait plusieurs étapes.

D’abord obtenir un contrat de travail chez un employeur. Sur base de ce contrat, une demande de régularisation devait être introduite à l’Office des étrangers. Si la décision était positive, il fallait introduire dans les trois mois une demande de permis de travail auprès de la région compétente. Qui pouvait ou non l’accorder.

Les chiffres sont révélateurs. Alors qu’on estime à plusieurs milliers (25.000) le nombre d’étrangers en séjour illégal travaillant au noir dans notre pays, les demandes de permis sont dérisoires. Fin 2010, seulement 425 permis de travail ont été accordés en Région bruxelloise, même chiffre en Flandre, 83 permis en Wallonie. Ces chiffres ne disent rien des régularisations qui seront finalement accordées et qui seront sans doute bien plus faibles encore car le permis accordé doit être renouvelé deux fois avant de donner le droit au séjour. La régularisation par le travail est un miroir aux alouettes et bien des sans-papiers s’en rendent aujourd’hui compte.

Un employeur militant. Il faut l’être pour engager un sans-papier dans les conditions prévues par l’instruction sur la régularisation. Le sans-papier n’est pas un chômeur. L’employeur ne bénéficie donc pas des mesures d’aide à l’emploi (comme le plan win win). C’est lui qui doit faire les démarches et attendre d’abord le feu vert de l’Office des étrangers avant de transmettre le dossier à la Région. Or les dossiers de régularisation par le travail n’ont pas été traités en priorité par l’Office. Certains ont mis un an avant d’être examinés. On peut comprendre que pas mal d’employeurs aient fini par jeter l’éponge.

Un employeur exemplaire. Il doit être patient mais aussi fiable à 200 %. Un soupçon de travail non déclaré précédemment ? Ecarté. Des dettes ? Idem. Il fallait pouvoir prouver n’avoir jamais eu de problème financier et produire un contrat type offrant le salaire minimum. Les Régions n’ont pas accepté les demandes de permis de travail basés sur deux contrats permettant d’atteindre le salaire minimum.

Il faut ajouter qu’il a fallu attendre plusieurs semaines avant que les Régions précisent quels types de contrat de travail elles allaient prendre en considération.

La régularisation par le travail était un critère temporaire (il fallait introduire la demande entre le 15 septembre et le 15 décembre 2009). Or la clarification quant aux types d’emplois acceptés n’est venue qu’en décembre, à la fin de la période prévue. « Mettre en œuvre une opération de régularisation au niveau fédéral et la mettre à charge des Régions sans accord avec elles n’est pas acceptable », estime le Forum Asile et Migrations (FAM) dans une première évaluation de la campagne de régularisation.

Un travailleur fragilisé. Dénicher une première demande de permis est une chose. Il faut aussi le renouveler et cela doit se faire obligatoirement pour le même emploi. Pas question pour le sans-papier de changer d’employeur même s’il est victime d’exploitation. « Cette opération de régularisation, regrette le FAM,était pourtant une opportunité de lutter contre l’exploitation de sans-papiers vulnérables. »

Un travailleur poussé à la fraude. La lourdeur de la procédure n’explique pas tout. Les sans-papiers ont toujours travaillé mais dans des niches de l’économie « noire » (rénovation du bâtiment, nettoyage, agriculture, petit commerce et marchés) qui subsistent et prospèrent parce qu’elles font appel au travail non déclaré. L’idée de « blanchir » ce secteur était sans doute utopique voire irréaliste puisque la procédure prévue écartait d’office les employeurs ayant utilisé auparavant de la main-d’œuvre illégale. Pire : l’opération a encouragé une énorme fraude aux contrats de travail. Des sans-papiers ont payé cher (entre 250 et 500 euros) des contrats bidon qui ont été détectés tout de suite par l’Office des étrangers. Des employeurs font aujourd’hui payer le renouvellement du permis de travail. Le sans-papier, lui, perd deux fois. Son argent et ses rêves de séjour en Belgique.

 

 

Le contexte

Un échec annoncé

La régularisation des sans-papiers n’ayant jamais eu de séjour légal a bloqué le gouvernement pendant des mois. Les partis flamands ne voulaient pas en entendre parler. Le compromis trouvé en juillet 2009 a été de conditionner le séjour de ces sans-papiers à la présentation d’un contrat de travail. Un cadeau empoisonné. Il était clair dès le début que cette mesure ponctuelle allait se révéler impraticable car déconnectée de la réalité du marché du travail. Un échec annoncé, assumé, prévu ? 

Publié dans Echo

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